La Paysannerie (Modes de vie de la societe d’ordres du haut Moyen Age)par Tilmann Lohse

Tiré de « L’Écho des Canton » no. 7, août 2000.

Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.

La Paysannerie

(Modes de vie de la societe d’ordres du haut Moyen Age)

par Tilmann Lohse

La famille paysanne vivaii dans l’exigurte. Separee du betail dans Ie sud de I’Allemagne, elle vivait dans Ie nord sous Ie meme toit que les animaux. Cette promiscuite s’aggravait en hiver car hommes et betes se rapprochaient pour lutter contre Ie froid. Les maisons etaient en bois ou, dans Ie nord de I’ Allemagne, principalement en torch is a colombage; elles etaient couvertes de chaume, de roseaux ou de bardeaux. II y faisait sombre car il n’y avait pas de fenêtre. Le jour penetrait faiblement par de petites ouvertures protegees par un treilIis de bois et bouchees en hiver par de la paille. Le sol etait en terre battue, les murs faits de poutres brutes ou en colombage. Les portes grossieres tenaient par des lanieres de cuir ou par des verges d’osier. Le foyer etait ouvert, certaines habitations possedaient un four en terre cuite. La fumee s’echappait par les trous des murs et par les portes. L’obscurite, qui tombait vite dans ces pieces sans fenetre, etait rompue par des torches de pin ou des chandelles eclairant tant bien que mal les coins ou s’effectuait Ie travail domestique. La combustion du suif, I’odeur du betail, les exhalaisons corpore lies des paysans, la fumee du feu et les vapeurs de la cuisine formaient un melange d’odeurs que nous pouvons supposer extremement nauseabond etant donne I’ exigurte des lieux.

Les habitants de ces petites chaumieres dormaient sur des pailIasses posees a meme Ie sol ou sur des bancs fixes au mur. Pour manger, les paysans s’asseyaient a une table grossiere et partageaient une meme ecuelle de bois. En guise de couvert, ils utilisaient une cuillere de bois et il n’y en avait parfois qu’une pour toute la maisonnee. Les paysans n’avaient guere besoin de couteaux car la viande figurait rarement au menu. D’une maniere generale, la nourriture etait frugale et peu variee. La plupart des familIes paysannes ne parvenant a faire que de maigres reserves de vivres, elles etaient vite menacees de famine en cas de mauvaises recoites. Au debut du haut Moyen Age, les champs etaient cultives a la houe; la herse etait encore inconnue et la faux plus efficace ne rempla9ait que progressivement la faucilIe; Ie collier d’epaule permettant de mieux utiliser la force des bomfs puis des chevaux, plus resistants, s’imposait peu a peu, de meme que Ie systeme de la rotation triennale des cultures. Ceci considere, nous comprenons mieux a quel point Ie paysan etait dependant des aleas climatiques.

Dans la plupart des cas, Ie foyer paysan ne reunissait sous un meme toit que deux generations. La mort etait omnipresente. Le labeur extenuant, les maladies facilemen contractees, surtout dans les periodes de famine, l’absence de soins medicaux expliquen la breve esperance de vie. Dans la paysannerie, elle en depassait pas la quarantaine. Chaque grossesse faisait peser une lourde menace sur la vie de la mere et du nouveau-ne L’esperance de vie de la paysanne etait encore plus faible que celle de son mari. Se nombreuses matemites dans de mauvaises conditions d’hygiene representaient pour eux un risque supplementaire de mortalite. Le taux de mortalite infantile eta it egalement tre eleve; sur cent enfants, seuls quarante passaient Ie cap des premieres annees.

Comme toutes les familIes du Moyen Age, la familIe paysanne etait patriarcale. Cet ordre se manifeste dejà dans la distribution de l’espace habitable. La moitie de la piece autour de la table etait attribuée a l’homme, la place aupres du foyer appartenait a la femme, ce qUi ne correspondmt pas seulement a la repartition des taches entre les membres de la familIe. En plus de la cellule familiale, la maisonnee comprenait des rreres et sreurs celibataires, parfois meme des parents eloignes ou encore dans les grandes fermes, les domestiques. Le statut dont jouissaient les membres de’ la familIe etait lie a la repartition des taches entre eux. La cohesion familliale etait essentiellement marquée par le fait que la famille etait perçue par tous comme une communaute qui assurait leur Subsistance et .organisait Ie travail. L’individu ne pouvait subsister que dans les bmltes de cette sO~I~ante. Contrairement a notre societe contemporaine qui evacue hors de la cellule familiale des fonctions essentielles telles que le travail ou, en partie, l’education et l’assistance aux personnes agees, la famille paysanne medievale assumait elle-meme la quasi-totalite de ces charges vitales. La familIe se regroupait autour de la propnete paysanne. Cette propriete et son exploitation imposaient et determinaient la vie commune. A cet egard, la preeminence accordee a I’homme decoulait essentieUement de la propnete car la femme suivait generalement son mari sur I’exploitation qu’il possedait.

C.’est.I’homme qui repartissait les taches, decidait des produits a cuitiver et de la distribution des recoltes. Les contraintes de la vie paysanne exigeaient que chacun partlclpe a la mesure de ses forces aux travaux communs, meme les enfants dans leur Jeune age. Les hommes travailIaient surtout aux champs. Les femmes venaient les y aider lorsqu’i! y avait un surcroit de travail comme au moment des semailIes et des recoites. Elles n’accomplissaient donc pas seulement les travaux plus legers du menage et de la ferme .. Elles faisent les moissons a la faucilIe par exemple – la faux qui faisait son. Apparition etait plutot maniee par les hommes, elles liaient les gerbes, battaient Ie grain et faisaient les foins. Elles soignaient Ie betail, transformaient Ie lait en beurre et en fromage et faisaient I’abattage des animaux. De plus, dans une mesure certes moindre que les hommes, elles etaient astreintes a des corvees pour Ie seigneur. Elles entretenalent Ie feu, faisaient la cuisine, constituaient des reserves et s’ occupaient des jeunes enfants. Dans cette societe fortement patriarcale, les paysannes n ‘en jouaient pas moms un role declslf dans la vIe quotidienne ou chacun dependait des autres. Cette dependance mutuelle ne manquait certainement pas de renforcer les liens affectifs qui unissaient les membres d’une famille.