Les origines de l’abstinence sexuelle pendant la grossesse : l’exemple du Moyen-Age par Seigneur Pierre d’ Abbeville

Tiré de « L’Écho des Cantons » no. 2, février 2000.

Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.

Les origines de l’abstinence sexuelle pendant la grossesse : l’exemple du Moyen-Age

Par Seigneur Pierre d’ Abbeville

Lorsqu’on pense a l’epoque du moyen-age on imagine de preux chevaliers qui sont prets a se soumettre entierement aux de sirs de leur « dame » qui faisait figure souveraine de maitresse en matiere d’amour. Mais il faut aussi specifier que cette periode fut un amoncellement de tres fortes contradictions; n’est-ce pas la belle Heloise (1101-1164) qui a dit a son pauvre amoureux Pierre Abelard (1079-1142) qui fut emascule parce qu’il avait peche avec celle-ci: « …ne nous marrions point car nous nous aimerons moins … ».

Cette phrase etait lourde de sens dans la mesure ou il etait vrai que I’expression du plaisir a travers la sexualite ainsi que toutes les manifestations de I’amour etaient du ressort des hommes (surtout des celibataires) et que la virginite ainsi que tout ce qui touche la maternite etaient l’apanage des femmes. II serait tentant de croire que les sentiments amoureux n’etaient pas pour les gens maries parce que Ie mariage representait avant tout la consecration d’une alliance qui se voulait utilitaire et d’assurer la legitimation de la descendance.

Deux discours sur la morale sexuelle se sont confrontes a travers I’imaginaire du moyen-age: celui du peuple et des troubadours et celui de l’ideologie dominante de l’epoque qui etait celie de l’eglise. Donc, sachant tres bien que la base des relations sexuelles c’est l’amour il fallait trouver une fa90n pour contrebalancer et denoncer les abus et les dangers de l’amour charnel, meme a I’interieur de l’union mariale. Quoi de mieux que de faire un code moral sur les comportements sexuels qui accentuerait davantage une separation entre les sexes en pronant, pour lajustifier, les etIets benefiques de I’abstinence sexuelle que l’on pourrait egalement appliquer pendant la periode entourant la grossesse. II faut egalement mentionner que cette separation par rapport aux roles que doivent assumer les sexes, a toujours ete evidente depuis I’antiquite pai’enne jusqu’au debut du xx ieme siecle. C’est au moyen-age que va vraiment se concretiser par l’entremise du christianisme, les rapports de distances entre les hommes et les femmes par l’exaltation de la continence et de la penitence. Et, c’est toujours par des facteurs d’ignorances et de peurs que I’on a pu, dans la courte histoire des rapports hommes-femmes, etablir et maintenir cette distance qui amena comme resultante, cette etemelle incomprehension qui nous caracterise tant encore aujourd’hui. Si vous croyez que cette epoque est tres loin en arriere, detrompez-vous car jusqu’au debut des annees 1970 (avant la venue de la revolution feministe) il etait tres tabou de parler des relations sexuelles pendant la periode de la grossesse. Meme, il n’y a pas si lontemps, plusieurs croyaient (incluant meme des medecins) que Ie fait d’avoir des relations sexuelles avec une femme enceinte pouvait signifier des risques d’avortements et etre dommageables pour la sante de la mere et du foetus. On a juste a regarder I’origine dans notre langue francaise du mot « enceinte » qui definit tres bien cette separation et cette distance que nous ne retrouvons pas a travers la genese de notre langage amoureux et erotique. Le mot enceinte date du XII ieme siecle et vient du latin « incincta » qui veut dire ceinturer, comme quelque chose de « clos », de fermer ou l’on ne penetre pas et qui est defendu a tout intrus. Dans un langage image tenant de l’ancien fran9ais, il etait coutume de dire « .. .les enceintes de la ville (remparts) sont si bien fortifiees, qu’ils sont imprenables pour tous assaillants … ». Meme au niveau phonetique, ce mot se prononce exactement comme « en sainte » et c’est a vous d’en tirer votre propre conclusion concernant cette puissante symbolique. Les relations sexuelles etaient defendues avant, pendant et apres la grossesse, a cause d’un principe de purifications corporelles que la femme devait assumer a cause de ses « impuretees » biologiques (ses menstruations). La femme ne devait pas se contaminer elle-meme (elle l’etait deja a cause de son statut de femme, selon les theologiens du temps) encore moins contaminer son mari, ses enfants, les membres de sa famille, l’eglise et son voisinage et elle devait se tenir loin de tout parce qu’elle n’etait pas en etat de graces. Voyons par des exemples les resultats de cette pen see qui fit figured’enseignement pendant des siecles et qui continua a avoir ses lettres de noblesses jusqu’au debut du XX ieme siecle. Le grand canoniste allemand de IX ieme siecle, Burchard de Worms parlait de « abus du mariage » en ces termes: « …t’es-tu uni a ton epouse au temps de ses regles? Si tu l’as fait, tu feras penitence dix jours au pain et a I’eau. Si ta femme est entree a l’eglise apres l’accouchement avant d’avoir purifiee de son sang, elle fera penitence autant de jours qu’elle aurait dfi se tenir encore eloignee de I’eglise. T’es-tu accouple avec ton epouse, ou une autre, par derriere a la maniere des chiens? Si tu l’as fait, tu feras aussi penitence dixjours au pain et a I’eau … ». Ces quelques lignes nous donnes un aper9u de cette morale sexuelle qui, en passant, ne donne aucune indication concernant des gestes d’amour, d’affection ou de fidelite que Ie mari devait donner a son epouse. Que pensez-vous qu’il arriva par la suite ? Etant donne que la sexualite etait reservee a la masculinite, Ie mari pouvait aller chercher son plaisir sexuel ailleurs, avec des « ribaudes » (prostituees) afin de respecter les interdits qui I’empechaient de mener une vie plus amoureuse avec son epouse. Ce fut une raison de plus a legitimer Ie clivage de l’activite sexuelle de la passion amoureuse.

Antecedemment a cette peri ode, Ie pape saint Gregoire Ie Grand ( 540-604) dans une lettre a Augustin de Cantorbery, livra les fruits de sa pensee sur les rapports sexuels pendant et apres I’accouchement ainsi que du comportement que les hommes et les femmes devaient avoir afin de ne point se souilles mutuellement. II ecrivit » …aussi longtemps que l’epouse sera enceinte, c’est-a-dire depuis Ie jour ou I’enfant a remue dans l’uterus, jusqu’a la naissance, I’homme devra s’eloigner de sa femme afin de ne point s’unir a elle … ». Cette continence devait, selon ce saint, continuer apres l’accouchement et se poursuivre durant la peri ode de l’allaitement. Nous savons de cette peri ode qu’elle pouvait durer norrnalement plus d’un an, mais en regie generale, les peri odes d’abstinences se situaient entre un et trois mois apres I’accouchement. Toujours selon saint Gregoire: « ..I’homme, en verite, ne doit s’unir a sa femme lorsque celle-ci a accouche et pas avant que l’enfant ne soit sevre .. » et il rajouta « ..or, dans les moeurs des gens maries, a surgi une coutume depravee: les femmes dedaignent de nourrir les enfants qu’elles engendrent et les remettent a d’autres femmes pour qu’elles les nourrissent. Cela apparait invente en raison de contrer leur continence afin de s’adonner aux peches de la chair .. ». Chose assez surprenante, la peri ode de la continence pouvait entre autre dependre du sexe de I’enfant. Si c’etait une fille qui naissait, la periode de continence se prolongeait encore plus que si c’etait la naissance d’un gar90n. La naissance d’une fille etait sou vent interprete comme l’element d’une malchance ou d’une malediction qui venait frapper la famille. La seule reference qui peut nous renseigner sur cet aspect, est celie ou I’on parle du Levitique (15,1930) dans l’Ancien Testament et qui indique « …que si une femme enfante un male elle sera impure pendant sa grossesse et elle Ie restera trente-trois jours apres sa naissance et si elle enfante une fille, elle sera aussi impure pendant sa grossesse, mais elle restera impure durant soixante-six jours apres sa naissance … ». Apres I’accouchement, la femme ne devait pas sortir de chez elle avant quarante jours suivant la mise au monde de l’enfant a cause des rites entourant la purification. Elle n’assiste pas au bapteme de son enfant qui a lieu generalement quelques quarante-huit heures apres la naissance, et c’est la marraine qui la remplace et qui la represente a I’eglise. Ces distances que l’on imposait aux hommes et aux femmes du temps, ont fortement contribuer a rendre plus tabou les connaissances qui entourent les relations et les apprentissages entre les sexes. Neanmoins, il est faux de croire que tous nos ancetres ont suivi a la lettre ces recommandations. Si tel avait ete Ie cas nous ne serions peut-etre pas ici pour se questionner. Si nous Ie voulons, nous pouvons encore sentimentaliser et meme erotiser I’epoque du moyen-age, en autant que cela demeure seulement dans notre imaginaire … rien de plus.