Au sujet des épices par Lord Dugan MacGowan, OBT, OSC

Tiré de « L’Écho des Cantons » no. 2, février 2000.

Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.

Au sujet des épices

Par Lord Dugan MacGowan, OBT, OSC.

II existe differentes opinions sur I’interpretation des quantites d’epices dans les recettes medievales. Demierement, j’ai lu que les unites de mesure utilisees a I’epoque etaient bien connues et que pour rendre la recette fidele aux gouts de l’epoque il etait preferable de suivre rigoureusement les quantites indiquees dans les livres d’epoque tels que Ie Viandier de Taillivant et Ie Menagier de Paris. Le texte qui suit est une retlexion sur I’utilisation des epices dans les recettes d’epoque.

Premierement, a l’epoque les viandes etaient faisandees. Le faisandage avait pour but de ramollir les chairs du gibier abattu a la chasse. De ce fait, apres la mise a mort, la viande a tendance sous l’action de l’acide lactique, a se raidir. Le faisandage n’etait donc pas toujours fait dans des conditions atmospheriques contr6lees. Ce qui pouvait avoir comme consequence que Ie gout des viandes etait souvent accentue par l’action des bacteries. On peut meme supposer que dans notre societe aseptisee tres peu de gens serait a meme de manger de telles viandes sans etre malade. L’utilisation de poudre fmel avait donc pour but de cacher Ie gout fort de la viande et de tuer quelques bacteries non desirables. Dans Ie contexte de nos activites, il ne serait donc pas souhaitable d’utiliser autant d’epices avec une viande fra’che dont Ie gout est subtile.

Deuxiemement, les epices etaient acheminees par bateau dans des conditions de transport discutables. Imaginer des racines de gingembre sechees a I’air, broyees au mortier, mises en tonneau et soumises a I’humidite et a I’ air marin des cales de bateaux pour Ie transport. De telles conditions ne pouvaient avoir comme consequence que d’alterer la saveur des epices. Les epices etaient eventees a leur arrivee sur les marches, ce qui peut expliquer les fortes quantites d’epices utilisees dans les recettes de I’ere medievale, par Ie souhait d’obtenir du gout. Par analogie, aujourd’hui les epices sont ensachees hermetiquement ce qui conserve leur saveur en empechant I’oxydation de celles- i par l’air et empechant meme une certaine extraction des composantes des epices par l’humidite de I’air. Dans ce contexte, il est preferable de mettre en perspective les quantites d’epices suggerees dans les recettes des livres d’epoques.

Troisiemement, les epices etaient a la portee des riches, donc pour etaler sa richesse on utilisait les epices en quantites et varietes. Dans certains cas, Ie resultat ne correspond pas tout a fait a la gamme de saveurs auxquelles nous sommes habituees. L’evolution des gouts a travers les epoques a fait en sorte que I’utilisation d’epices comme celles qui constituent la poudre fine n’est plus aussi courante aujourd’hui. Cette situation a pour consequence d’accentuer les saveurs des epices de la poudre fine. Pour appuyer cet argument voici deux exemples. Les methodes de cuisine franvaise classique decoulent souvent de techniques initiees par des maltres tel Taillivant. Toutefois, la cuisine classique ou de terroir fait souvent appel aux disponibilites locales telles les herbes de la region, la creme pour la Normandie et les fruits pour la Lorraine. Ces caracteristiques de terroir generent des saveurs plus subtiles que celles que I’on retrouve dans des recettes du Viandier de Taillivant. Ainsi, on peut croire qu’il a eu une evolution des preferences dans la cuisine franvaise a travers des caracteristiques regionales.

Dans la meme lignee, dans Ie nord-est de l’ Amerique du Nord, on utilisait peu les epices fortes et les piments forts il y a 15 au 20 ans. L’influence des saveurs des regions chaudes du globe (comme Ie Mexique) a progresse vers Ie Nord pour se retrouver sur plusieurs tables d’ici bien qu’a l’origine e11esavaient pour but de stimuler l’appetit et la soifpour contrer la deshydratation du corps humain. Les gens de la generation precedente sont moins portes sur ces saveurs que les generations montantes qui ont grandi avec elles. On peut done croire qu’il y a une evolution des preferences de saveur des gens. En prenant compte de cette assertion, est-il correcte de prendre pour acquis que l’utilisation des epices au moyen age telle que decrit dans les livres d’epoque correspond a des saveurs agreables pour nous aujourd’hui?

Finalement, je vous suggere ma facyond’interpreter les recettes d’epoque. Dans un premier temps, beaucoup de recettes medievales traitees dans des livres modemes qui traitent de cuisine medievale sont deja adaptees, mais je goute toujours les plats en ajoutant les epices pour m’assurer de ne pas obtenir un resultat desagreable.

Entin, lorsque j’applique des recettes d’epaque telles que redigees au moyen age, j’utilise la liste des composantes de la recette originale (et non les quantites) mais avec des dosages legerement superieurs a ce que j ‘utiliserais dans la cuisine reguliere, de facyona obtenir un resultat qui a une couleur gustative differente des mets de tous les jours mais qui demeure tres agreable pour Ie palais! Je sais que certains opteront pour une application plus rigoureuse des recettes moyenageuses et ce choix est libre. Toutefois, prenez garde de ne pas gacher la piece de viande qui represente la principale depense de votre festin par souci d’authenticite. Utilisez les epices, les aromates et condiments avec serieux. Ils doivent etre utilises avec la plus grande parcimonie, Ie but n’etant pas de masquer mais de rehausser.

Je remercie Othon Hohestauffen yon Salza pour la revision de ce texte et pour ces commentaires pertinents.

Lord Dugan MacGowan, OBT, OSC.

Les references utilisees pour cette ret1exion sont: Le viandier de Taillivant, Le menagier de Paris, Pain, vin et Venaison

‘Poudre fine : Melange des epices suivantes: cannelle, gingembre, muscade, girofle et cardamone. Noter que Ie dosage de ce melange variait car iI etait bien souvent Ie resultat de tonneau brise dans la cale des bateaux.