La chute de château Gaillard, partie 2 par Etienne de la Vergne

Tiré de « Les nouvelles du Vieux-Bourg » no. 6, août 2001.

Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.

LA CHUTE DE CHATEAU GAILLARD, partie 2

par Etienne de la Vergne

Dans la premiere partie de cette chronique, nous avons situe le climat politique qui a entrame la construction de Chateau Gaillard ainsi que les raisons pourquoi Philippe Auguste, roi de France, s’est rendu aux portes du chateau pour en faire le siege.

II convient donc, dans cette seconde partie, d’exposer les ouvrages de défenses qui caracterisaient cette place forte. En effet, Philippe Auguste se retrouve devant une architecture tres innovatrice pour l’epoque. La rumeur la veut imprenable. Nous savons tres bien que ce n’est pas possible mais chose certaine, elle est très impressionnante. En voici donc les particularités.

LES OUVRAGES DE DEFENSES DE CHATEAU GAILLARD (2e partie)

Le chateau etait tres imposant par son architecture meme mais Ie site de construction contribuait grandement àrendre la forteresse difficilement prenable. Le château semblait pousser du roc et des falaises qui l’entouraient. Ces escarpements restreignaient l’approche aux murailles, elevaient ces demieres audessus de la Seine et devenaient la premiere ligne de defense it rranchir.

Richard I, Ie roi au creur de lion, etait un brillant stratege militaire et reconnut Ie potentiel defensif de cet endroit. II s’entoura d’une bonne equipe d’ingenieur afin de tirer parti des avantages geographiques et aussi pour reproduire les nouvelles idees qu’il ramenait de ses nombreuses campagnes. La construction du chateau et des ouvrages de supports adjacents demanda 3 ans et n’etait pas terminee quand Richard est mort en 1199.

Trois parties distinctes composent Château Gaillard : la defense de la riviere, la ville fortifiee et Ie chateau proprement dit. Le passage de la riviere etait possible pour les embarcations alliees seulement. En effet, un fort sur l’lIe au milieu de la riviere etait relie par des ponts it d’autres fortifications sur les deux rives. On retrouvait aussi trois rangees d’estacades au travers de la riviere. Tous ces efforts avaient pour but d’empecher les embarcations hostiles d’utiliser Ie courant pour eviter Ie chateau. Elle semblait etre protegee contre toute attaque maritime … Mais comme on Ie verra, dans la troisieme partie de. cette chronique, I’histoire fut differente.

La citadelle est naturellement la piece maitresse des ouvrages defensifs en place. A elle seule, elle vaut la peine de s’attarder longuement. Richard a exploite la geographie de fa~on telle que la seule approche possible pour les attaquants etait au sud-est OU on retrouvait un plateau. Partout ailleurs Ie chateau est etait entoure de falaises abruptes et impossible it escalader.

Pour profiter de cet avantage Chateau Gaillard se defendait de fa~on longitudinale et concentrique. La methode concentrique qui est devenue une façon tres reguliere et populaire de disposer les ouvrages de defenses d’un chateau. La methode longitudinale etait tres propre it Chateau Gaillard. L’attaque ne pouvant venir que d’un cote alors Ie ‘Chateau it 15M construit sur une forme allongee afin de forcer les assiegeants it traverser la forteresse sur sa longueur pour acceder au donjon situe tout au fond

L’enceinte exterieure, la premiere que les attaquants devaient assaillir, etait sous la forme d’un triangle isocele avec des cotes de 175 pieds de long. A chacun des trois pointes on retrouve une tour de 40 pieds de haut avec de murs de 11 pieds de large. Sur les deux cotes qui font face it l’attaquant, deux petitestours ajoutaient a la puissance de tir en flanquement. A l’exterieur des murs une fosse de 30 pieds de large par 20 pieds de profond, entourait Ie chateau: L’enc~inte principal~ etait oblongue avec des dimensions approximatives de 325 pledS par 200 pleds. Deux tours (C) defendaient la muraille du chateau faisant face au bastion exterieur. Deux autres tours renfor~aient la muraille sur l~s cotes., La ~sse-cour (E), Ie puit (F) et la chapelle (H) etaient to~ a l’inteneur de I encemte. De vastescaves (G), situees sous la cour ont egalement ete taillees dans Ie roc.

Dans un ouvrage de type concentrique, les ouvrages de defenses sont de moins en.moins haut au fur et a mesure qu’ils s’eloignent du centre strategique. Ce qUi a pour effet de donner la chance aux defendeurs de diriger sur les chemins d’approche un grand volume de projectiles. De plus, s’il est possible, on res-treint l’espace disponible entre chaque etape afin d’empecher les attaquants de concentrer la force adequat~ pour donner Ie prochain assaut.Ce principe aete tilise a Chateau Gaillard et l’endroit Oil ilest Ie plus evident est la porte de l’ enceinte interieure. Cette porte (K) est cachee pour les combattants qui se serait empare- de la premiere porte. Pour venir l’attaquer, ils doivent venir par petit nombre et s’exposer Ie flimc a lamuraille interne et Ie dos a la tour derriere eux.

L’enceinte interne, mesurant 100 par 200 pieds, avaitune forme tres particuliere d’oreille humaine et etait entouree d’une tranche (I). Mais sa plus grande nouveaute etait sans aucun doute ses 17 tourelles qui formaient une courtinea flanquement continuo Elles etaient plus epaisses a la base ce qui permettait de faire ricocher les projectiles sur les attaquants et aussi de renforcer la structure pour mettre en echec Ie travail des mineurs. En plus, les tourelles avaient une forme convexe pour permettre de bien decouvrir la base des courtines alors que les defenseurs etaient sur Ie dessus. Ceci demontre de l’auteur de ses efenses une etude, un..erecherche et une experience sur les armes de jet qui est tres surprenante.

Finalement, Ie donjon (M). Ce dernier n’etait ni rond, ni carre comme il etait la coutume de faire mais d’une forme tout a fait originale. Toujours avec une base plus large, il n’avait pas de cage d’escalier, foyer ou de latrines. II etait construitpour un siege desespere qui viendrait a la fin d’une longue attaque. 11Y avait egalement une porte de secours (P) en cas de cause perdue. Cette sortie secondaire donnait sur Ie chemin de ronde perce d’une seconde poterne (8) qui etait la seule entree du chateau.

Le donjon comme les tours etaient pourvus de machicoulis de pierr~ qui sont les premiers a etre apparu dans l’ouest de l’Europe. Le machicoulis est une petite construction au sommet d’un ouvrage defensif, perce de fentes dans son plancher pour jeter des projectiles sur des assaillants situes en bas. Le materiel anti-personnel utilise est de toutes sortes : des pierres, des fleches, de l’eau ou de l’huile chaude (tres cher), des barres de fer chauffees au rouge, du sable chaud ou pire de la chaux vive.

Chateau Gaillard etait fait de pierres de silex cimentees ensembles et recouvertes de brique de pierre. L’apparence etait formidableet la tenacite aussi, Ie mortier a tenu les pierres ensemble pour plus de 700 ans! II etait vraiment magnifique, innovateur, imposant et … imprenable! Malheureusement comme tout prototype il n’est pas parfait. Des petites erreurs de conception lui donneront Ie coup de grace. Mais ce qui lui a Ie plus fait defaut durant sa chute est certainement l’absence de son constructeur, l’absence de chef et d’experience sur ce nouveau type de bastion. Richard cceur de lion a lui meme dit en parlant de Chateau Gaillard: «Behold my fair daughter, how beautiful she is! »

A paraitre dans les numeros futurs :Le siege et la chute de Chateau Gaillard (3e partie)