La noblesse troisième partie par Tilmann Lohse
Tiré de « L’Écho des Cantons » no. 5 mai 2000.
Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.
La noblesse troisième partie
Modes de vie de la societe d’ordres du haut Moyen Age (auteur Tilmann Lohse)
La chevalerie
Qu’est-ce que faisait les chevaliers? Qu’avaient-ils de commun? Du point de vue materiel, ils pouvaient se permettre de mener une vie toute entiere vouee au combat. Le comportement de ces hommes, jeunes pour la plupart, etait empreint d’un certain ideal de virilite. Lis apprenaient Ie metier des armes au cours d’une longue phase d’apprentissage. Le garçon commençait comme page a la cour d’un seigneur. A quatorze ans, il devenait ecuyer et a vingt ans, il etait arme chevalier. Tous les pages n’atteignaient pas ce but, faute de remplir les conditions physiques indispensables. L’apprentissage se terminait par la ceremonie de l’adoubement au cours de laquelle Ie jeune homme recevait ses armes. L’adoubement etait prolonge par une rete dispendieuse qui durait plusieurs jours et comprenait des tournois. Pour Ie jeune chevalier, il importait ensuite de s’affrrmer dans des combats, de vivre des aventures, de rapporter du butin. Vne telle existence demandait de la bravoure, de l’audace et de la force physique. La reputation d’un chevalier reposait sur ses victoires, c’est 11 ces succes qu’il aspira; Ie savoir livresque n’etait pas son affaire. Le combat chevaleresque est tout d’abord un combat singulier a la lance et 11 l’epee obeissant a un rituel; les armes de jet etaient proscrites car contraires a I’esprit de la chevalerie. Meme Ie deroulement du combat suivait certaines regles. Le lieu et Ie moment etaient convenus, les embuscades etaient incompatibles avec l’honneur chevaleresque. De telles conventions sont bien comprehensibles si I’on considere les efforts et Ie temps necessaires au chevalier pour etre pret a combattre. Mais il convient de ne pas confondre les regles du combat telles qu’elles nous sont decrites dans les epopees chevaleresques avec la simple rea lite guerriere. II ne fait guere de doute qu’en demier recours les actes de violence brutale furent plutot la regIe. II n’existait pas a l’epoque de monopole public de la violence et personne ne se souciait de la legitimer. La litterature medievale insiste sans cesse sur la discipline et sur lajuste mesure, ce qui laisse penser que ces ideaux chevaleresques n’etaient pas des mieux respectes dans la realite.
Le chevalier pouvait faire preuve d’une violence demesuree surtout lorsqu’il s’opposait a des gens d’un rang inferieur et se montrer grossier envers les femmes – autant d’attitudes en contradiction avec l’esprit chevaleresque celebre dans les chansons de geste. C’est pourquoi la litterature s’efforce si souvent d’attenuer et de refrener Ie caractere impetueux du chevalier en lui fixant de nobles ideaux. Le chevalier devait en toute circonstance faire montre d’honneur, de fide lite, de justice et de bonte. L’exaltation de ces qualites visait 11 canaliser les debordements. C’est dans cette meme optique qu’il faut comprendre Ie devoir du chevalier de servir la foi chretienne. II devait mettre sa force au service des pauvres et des sans defense. Ces considerations charitables guiderent les chevaliers de Saint-Jean de Jerusalem, les Templiers et les chevaliers teutoniques.
L’epoque de la chevalerie etait aussi celle des chateaux forts. Le haut Moyen Age vit la construction de si nombreux chateaux forts que l’on peut parler d’un « encas tellement » de la noblesse. Les chateaux forts illustrent la puissance des grandes familles nobles dont ils sont des instruments de pouvoir bien reels et pas seulement symboliques, administres par les ministeriaux, edifies par les serfs en trois a sept ans au cours de milliers de journees de corvee. La fonction essentielle, evidente aujourd’hui encore, est d’ordre defensif. L’ennemi etait vaincu lorsque son chateau etait pris. C’est pour cette raison que les chateaux forts se dressaient sur des promontoires inaccessibles et que leurs murs etaient si hauts et si epais. Ils servaient souvent de prison. Les personnes se trouvant dans l’enceinte du chateau devaient respecter la treve. Le chateau fort etait Ie creur du domaine seigneurial. 11etait en quelque sorte son centre administratif tout en servant de cadre eclatant aux assemblees courtoises. Le chateau etait un signe de puissance visible de loin, intimidant pour Ie paysan dans sa hutte de bois, monstrueux, construit en pierres pour durer etemellement. Les sites choisis pour edger les chateaux forts en donne l’illustration: ils sont a l’ecart des agglomerations, sur des escarpements, a distance des manants. Le donjon, surplombant de 20 a 30 metres ces chateaux forts deja construits en hauteur symbolisait Ie statut seigneurial dans cet univers patriarcal, mais il servait aussi de refuge lorsque l’ennemi avait franchi les murs d’enceinte.
Les chateaux forts etaient un lieu de negoce pour les articles de luxe que des marchands faisaient venir de loin: cofiteuses epices exotiques, prisees de la noblesse medievale, etoffes precieuses de toutes couleurs, tapisseries raffmees et bien d’autres choses encore. La cour y ceh~brait des fetes dont l’apotheose etait un grand festin. Une cohorte de domestiques servait les invites, des musici~ns distrayaient l’assemblee, des menestrels chantaient et disaient des poemes, des comediens et des acrobates se produisaient. C’est dans ce cadre que s’epanouit la chanson de geste, un poeme epique presente devant un public. Les fetes pouvaient durer plusieurs jours, mais c’etait assez rare car elles coiltaient tres cher. Tous les seigneurs ne pouvaient pas se permettre d’organiser de telles festivites meme s’ils aspiraient au prestige social qu’elles apportaient. Ces fetes etaient bien entendu l’occasion des fameux toumois, tout a la fois exercices guerriers et sportifs. La chevalerie avait l’art de se mettre en scene. Le deroulement des tournois obeissait a des regles strictes. Bien que les chevaliers n’aient utilise pour la circonstance que des armes emoussees, les tournois faisaient de nombreux blesses et parfois des morts. Ils s’ ouvraient par des demonstrations en groupes sui vies de combats singuliers a cheval, a la lance puis a l’epee jusqu’a ce que l’un des chevaliers abandonne. Gagner un tournoi lors d’une grande rete etait Ie couronnement d’une vie de chevalier. Mais de telles consecrations etaient rares et n’etaient pas offertes a tous. La vie quotidienne d’un chevalier etait tournee vers d’autres occupations et son existence normale etait peu brillante.