La Soule par Didier de Montfort

Tiré de « L’Écho des Canton » no. 7, septembre 2000.

Extrait avec numérisateur et reconnaissance de texte.

La Soule

Par Didier de Montfort

Les origines de ce jeu restent obscures et la documentation ecrite n’en livre de traces silres qu’a la fin du XIIe siecle, en depit de quelques allusions anterieures. L’ethimologie du mot soule, des plus serieuses au plus fantaisistes, ont ete proposees pour ce terme de soule ou choule. Certains proposaient Ie terme islandais sui (Ia melee), solea (Ia sandale) en songeant a l’expression souler ou pie, rrequente dans les sources.

En tenant compte du caractere periodique dujeu, on a pense au verbe solere (avoir l’habitude). D’autre, par reference au lieu OU se deroule Ie jeu, ont mis en avant la division des terres en soles. La plupart des folkloristes ont mis la soule en relation avec Ie solei!, parfois par Ie biais du celtique heol ou sui, mais il est difficile de les suivres dans cette voie pour la raison que Ie mot est plus repandu en France qu’en Bretagne ou la persistance de la langue celtique aurait dil mieux qu’ailleurs en assurer la conservation. Le jeu se pratique a l’aide d’un ballon (ar veIl) et, partout en Basse Bretagne, la partie de soule se disait « ar c’hoari mel/ad’ Ce ballon etait du cuir, bourre de filasse, de son, de sciure de bois, de foin ou parfois encore de crottin seché.

La soule est mentionnee dans Ie Jeu de Robin et de Marion, dans Ie roman de Renart; Gargantua s’y distingait. Ce jeu devrait etre partique un peu partout puisque par ordonnace du 3 avril 1365, Charles V Ie proscrit comme ne pouvant figurer parmi les jeux qui servent a l’exercice du corps. La raison de cet interdit: L’exces de combativite qui animait les souleurs. Cependant, s’il ne parait pas que les souverains bretons (Ia Bretagne etant independante a l’epoque) aient pris des mesures a l’enconte de ce jeu; il n’en fut pas de meme des autorites ecclesiastiques, comme en temoigne cette condamnation contenue dans un article des statuts synodaux de Raoul, eveque de treguier, pub lie en 1440 dont voici la traduction:

«Ce droit atteste que les jeux dangereux et pernicieux doivent etre prohibees, a cause des haines, des rancunes et des inimities qui, sous Ie voile d’un plaisir recreatif, s’accumulent dans beaucoup de coeurs et dont une funeste occasion decouvre Ie venin. C’est ainsi que nous avons appris par des rapports d’hommes dignes de foi que dans quelques paroisses et autres lieux soumis a notrejuridiction, on se livre, lesjours de fetes etjours nonferies, depuis fort longtemps deja, a un certain jeu tres pernicieux et dangeruex, avec un bal/on rond, gros et puissant, jeu qu’on appel/e en langue vulgaire « mel/at », II en est deja resulti beaucoup de scandales, et i! est manifeste qu’i! S’en produirait de plus graves encore dans l’avenir, si l’on ne recourait a un remede opportun. C’est pourquoi nous interdisons ce jeu dangereux et scandaleux et declarons passibles de la peine d’excommunication et d’une amende de cent sols ceux de nos diocesains, a quelque rang ou condition qu’ils appartiennent, qui auraient l’audace ou la pretention de pratiquer Iejeu susdit»

II ne semble pas que cet interdit, non plus que les autres qui suivirent, emanant des autorites civiles ou religieuses, ait eu beaucoup d’effet. Pendant tout Ie cours du XIXe siecle, les prefets du Finistere et du Morbihan tenterent d’abolir ce jeu mais n’y parvinrent pratiquement pas.

Les regles de la soule etaient relativement simples. Generalement deux camps s’opposaient, Ie plus souvent deux paroisses. II arrivait parfois que trois paroisses prennent part au jeu comme en cette partie memorable de 1889 entre, Locuon, Mellionnec et Plouray qui se joua a la limite des Cotes-du-Nord et du Morbihan sur les landes dites « Lanneier Gallhouam ». Le vainqueur en fut un gars de Locuon. Car, si la soule est unjeu eminemment collectif comme Iesoccer (Ie football en europe) ou Ie rugby qui en sont issus, elle a aussi ses champions. Tel mel/er se distinque pour avoir soustrait la balle a une melee, l’avoir adroitement lancee a un partenaire, etre parvenu a la conserver longtemps en direction du but et surtout, l’honneur supreme, la lager sur Ie territoire de sa paroisse. Les aveux nous apprennent que la balle, foumie au seigneurs par ses vassaux, etait lancee pres de I’eglise, sou vent du haut de la pierre de bannie, soit par Ie seigneur lui meme, soit par son representant, senechal ou procureur fiscal, soit encore par Ie demier marie de l’annee ou Ie vainqueur de la precedente rencontre. Mais ceci ne concemait que les rencontres opposant deux equipes de la meme paroisse, constituees souvent l’une, des celibataires et l’autre, des hommes maries.

Pour ce qui etait des rencontres interparoissiales Ie coup d’envoi etait generalement donne aupres d’une chapelle sise a la limite des deux paroisses. Le jeu se deployait, non sur un terrain plat, mais sur un terrain accidente et tres etendu allant generalement de l’eglise de la paroisse ou d’une chapelle, a la limite de la paroisse voisine. Tout etait permis, y compris de se cacher dans les bois et fourres ou de traverser a la nage etangs et rivieres. Des noyades s’en suivaient parfois. C’est ainsi qu’a Pont-L’Abbe, la soule etant tombee au moment de la pleine mer dans l’etang qui baignait I’ancien chateau, cinquante personnes y trouverent la mort.

Faute de pouvoir interdire ce jeu, la classe dominante I’avait officialise des Ie Moyen Age et c’est ainsi que la soule devint un droit feodal parmi d’autres.

Ce droit s’est perpetue a tel point qu’on Ie trouve mentionne parmi les privileges dont on reglame la disparition dans les cahiers de doleances de certaines villes en 1789. Le discredit dams lequel tomberent, apres la Revolution, les jeux seigneuriaux fut un des principaux facteurs de la disparition de la soule, consideree comme un signe de soumission envers les nobles. Seulle Mordihan rural, plus traditionnaliste, moins ouvert aux ref ormes, conserva ce jeu jusqu’a la seconde guerre mondiale.

Ainsi, disparut un sport ancien qui avait passionne les bretons, un sport proche du « hurling » et du « knappan » pratique par les Comouaillais et Gallois, un sport rustique et rude qui devait laisser place au soccer (football) et au rugby, moins brutaux parce que plus reglementes.