Ypocrat et Clarrey par Ludwig

A toute personne intéressée à comprendre la philosophie du brassage d’époque, un certain contenu historique et à tenter de reproduire un breuvage d’époque, je vous offre ici un petit aperçu d’un breuvage très commun durant l’ensemble de la période du moyen âge : Un simple vin rehaussé d’épices et sucré, connu sous bien des noms, dont Yprocrat et Claret

Qu’est-ce que l’Ypocrat ?

Ypocrat, Hippocrat, Hippocrasse est typiquement fait de vin, habituellement rouge, d’un agent sucrant et de diverses épices. Initialement, l’usage de l’Ypocrat était vu comme médicinal. D’ailleurs, ce nom découlerait du célèbre médecin grec de l’antiquité, Hippocrate. Selon les versions et interprétations, il aurait inventé, le sac qui sert à filtrer les épices ou tout simplement, ce sac ressemblerait aux grandes manches des médecins de l’époque. A noter que lorsqu’on utilise plutôt un vin blanc sucré et épicé, le terme ‘Claret’ ou ‘Clarrey’ est aussi rencontré, ce mot étant un dérivé de ‘clair’ ou ‘clarifier’. Mais comme bien des breuvages de l’époque, la démarcation n’est jamais aussi claire. Les Methylgens et Pyments (Hydromel-vin-herbes-épices) seraient aussi des breuvages fort proches de l’Ypocrat.

Références à travers l’histoire

L’Ypocrat sous ses diverses incarnations était très ‘répandu’ partout en l’Europe, et cela pour la presque totalité de la période couverte par la SCA, et même avant chez les romains (voir ‘Mulsum’). Il y a de nombreuses références concernant des breuvages sucrés et épicés de type vineux à travers l’histoire. En voici quelques unes :

◊ Il y eu un édicte de l’église à Aix-la-chapelle en 817 qui mentionne l’Ypocrat.

◊ Plus tard, on trouve aussi mention de l’Ypocrat dans les descriptions de festins de la cour d’Henry IV.

◊ Chaucer, poète et érudit, mentionne dans ses écrits son utilisation par un homme d’âge bien mûr la nuit de ses noces avec sa jeune promise.

◊ Plusieurs textes, surtout arabes, recommandent la consommation d’épices ou herbes infusées dans du vin.

Voici deux recettes spécifiques d’époque:

Le Mesnagier de Paris” (14th)

HIPPOCRAS. To make powdered hippocras, take a quarter-of very fine cinnamon, selected by tasting it, and half a quarter of fine flour of cinnamon, an ounce of selected meche ginger fine and white, and an ounce of grains of paradise, a sixth of an ounce of nutmeg and galingale together, and bray them all together. And when you want to make your hippocras, take a good half-ounce of this powder and two quarters of sugar, and mix them together, and a quart of wine by Paris measure. And note that the powder and the sugar mixed together is [hight] « the Duke’s powder ». To make a quart or a quarter-ounce of hippocras by the measure of Beziers, Carcassonne, or Montpelier, take five drams of fine cinnamon, selected and peeled; white ginger selected and peeled, three drams; of cloves, cardamom, mace, galingale, nutmeg, nard, altogether a dram and a quarter, most of the first, and less of each of the others in order. Let a powder be made thereof, and with it put a pound and half a quarter, (by the heavy measure), of lump sugar brayed and mingled with the aforesaid spices; and let wine and sugar be set and melted on a dish on the fire, and mix therewith: then put in the strainer, and strain until it runs a clear red. Note, that the cinnamon and the sugar should predominate.

The forme of curry’ (14th recipe from England)

Potus Ypocras: Take a half lb. of canel tried1; of gyngyuer tried2, a half lb.; of greynes3, iii unce; of longe peper4, iii unce; of clowis5, ii unce; of notemugges6, ii unce & a half; of carewey7, ii unce; of spikenard8, a half unce; of galyngale9, ii unce; of sugir, ii lb. Si deficiat sugir, take a potel of honey.

Pourquoi en boire?

Pour nous du 20e siècle, pour une raison assez simple : Ce breuvage est bon au goût de la plupart des gens. Malheureusement, ce ne sont pas tous les breuvages d’époque qui peuvent clamer la même chose à nos papilles modernes… Mais maintenant, tentons de comprendre la vision des gens de l’époque. D’abord, au moyen âge, la presque totalité des épices et herbes étaient vus comme ayant des vertus curatives et bénéfiques pour le corps. Par conséquent, la consommation d’épices était encouragée et recommandée par les docteurs… Ensuite, garder à l’esprit que les épices (et le sucre) étaient vus comme une richesse exotique et rare provenant de contrées lointaines. Ce n’est pas tout le monde qui pouvait s’en offrir. Et si vous le pouviez, ajoutez un peu d’orgueil humain au tout : Quelle meilleure façon de démontrer votre richesse que de servir ces épices à vos convives sous forme de nourriture et de boissons…. Il y a aussi quelques considérations plus terre à terre. Il y a quelques références historiques que si le vin se perd ou est moins plaisant, on peut y ajouter des épices et du sucré. Peut-être inspiré des cuisiniers? De plus, certains brasseursmodernes ne sont pas à l’abri de tel stratagèmes…. Peut- tre pour un vin qui n’est simplement pas très bon au départ et qu’on veut exportable aux paysans de pays chapeautés. Pas assez convainquant tout ça? Et bien sachez que certaines annonces modernes voulant vous vendre un `bière d’eau’ n’ont rien inventé. Vous voulez convaincre les gens de boire de l’hypocrat, et bien pourquoi ne pas mentionné que cela rend les hommes plus…hommes et les femmes… plus femmes..

Fabrication générale

Bon, maintenant que j’ai abordé son existence et sa raison d’être, passons dans le plus spécifique, comment se fabriquait l’ypocrat et comment pouvons-nous le reproduire de nos jours. Il n’y a pas une seule façon claire de faire de l’Ypocrat. Il faut bien mélanger le vin avec les autres ingrédients, mais pour les détails, c’est beaucoup plus flou. Clairement, le vin est fabriqué avant, on ne parle donc pas d’un pyment/ Methilghen ici même si le résultat pourrait s’en rapprocher. Quant à savoir exactement comment était produit le vin à l’époque et quel était son goût, c’est un autre débat. Pour le sucrer, c’est facile: on y ajoute sucre ou miel Puis vous avez à l’épicer. Certaines recettes vous diront de mettre les épices dans un sac « à tisane » et de verser le vin au travers. D’autres vous diront de simplement laisser ce sac dans le vin un certains temps. D’autres vous diront d’ajouter les épices sous une forme de fine poudre (une poudre ayant son propre nom et recette). Au pire, on indiquera seulement ‘épicer avec…’ et vous aurez à deviner les détails. La quantité et le type d’épices (sucre) change aussi d’une recette à l’autre. De plus, vous aurez à penser que les épices utilisées voyageaient beaucoup, étaient moins fraîches et moins pures et puissantes que les épices actuelles.

Le niveau de sucré

Pour nous, le sucre est un aliment de base et se retrouve partout dans l’alimentation à prix modique. Il y a longtemps, le sucre était une épice aussi rare et dispendieuse que les autres. L`Ypocrat d’un riche contenait du sucre, alors que le pauvre devait se contenter de miel. Ceci est bien à l’opposé de la réalité économique d’aujourd’hui De nos jours, tout ce que nous mangeons contient énormément de sucre. En bref, ce qui était considéré très sucré à l’époque pouvait très bien ne pas correspondre à ce que nous considérons très sucré maintenant

Comment faire l’Ypocrat: Adaptation d’une recette spécifique

Ceci est mon adaptation personnelle de la seconde recette (Form of Curye). Mon interprétation est sujette à débat puisqu’il n’existe pas une seul façon de faire, bien au contraire.

Comprendre les ingrédients et les trouver Premièrement, vous devez déterminer exactement quel sont les ingrédients. Cela peut être plus difficile qu’on le croit…Les noms d’épices ayant bien changé avec le temps……..Spikenard? poivre long? On doit demander et s’informer puis les identifier clairement lorsque possible. Puis, il faut se les procurer. Dans certains cas, très peu de boutiques locales connaissent ces épices et donc peuvent encore moins vous en fournir. Je recommande Pennsic ou Birka pour les épices les plus rares à trouver. Le sucre et le miel sont relativement faciles à trouver. Mais encore là, quel type de miel ou sucre exactement? Et le vin? Dans ce cas-ci j’ai assumé que tout vin ordinaire ferait l’affaire, mais par principe personnel, j’ai fabriqué mon propre vin Puis j’ai dû ‘deviner’ la quantité exacte de chaque ingrédient de base sur la recette originale, en gardant à peu près les ratios conseillés. A noter que la quantité de vin pour les épices n’est pas indiquée. Et puis, un ‘potel’ de miel? C’est un gros ou un petit pot? Pour ce qui est de comment utiliser et mélanger les épices, il n’y a pas beaucoup d’indications non plus…(filtrées, en poudre, entières, immergées longtemps?) En me basant sur diverses autres sources et expériences, j’ai improvisé et fait les choses suivantes: Dans un mortier, concasser (ne pas moudre finement) toutes les épices. En approximant /remplaçant les épices originales et les quantités :

Note : J’ai utilisé du vin de fabrication ‘maison’ par principe personnel, mais il est tout à fait possible d’utiliser un vin commercial.

1. Cannelle, 1 c.a.s (la canelle ‘médiévale’ n’est pas la même que celle couramment vendue!)

2. Gingembre, 2 c.a.s.

3. Graine du paradis, 1 c.a.s.

4. Poivre long , 1 c.a.s ………(poivre blanc utilisé dans les premièrs essais)

5. Clou de giroffle, 1 c.a.s.

6. Muscade, 1,5 c.a.s

7. Cumin et Carvis, 2 c.a.s

8. Graine d’anis/anis étoilé, ½ c.a.s…..(approximation de spikenard. Depuis, je sais que c’est clairement une erreur)

9. Galingale, 1 c.a.s

Miel: Mon choix personnel sur le sucre (“ If lacking sugar, take honey” dans la recette)

Mélanger avec 3 litres de vin rouge et deux tasses de miel. Tout mijoter brièvement.(aide à ‘imprégner’ le goût des épices et à stériliser pour éviter toute contamination.) Laisser dans une cruche 24 heures puis transférer dans une autre cruche en laissant le plus possible les épices derrière. Ajout de vin pour combler à 3 litres de nouveau (vin mijoté). Après un autre 24 heures, transférer de nouveau dans une autre cruche de la même manière et re-transvider quelques fois.. Quelques jours plus tard, embouteiller.

Varia :

Il est possible de reprendre les épices pour une seconde recette ou même une troisième. Faites attention avec les épices, plus de temps imprègne beaucoup plus de goût. L’utilisation des épices dans les recettes n’est pas proportionnelle. i.e. si vous faites une quadruple recette (12 litres), quadruplez le vin et le miel, mais pas les épices (je dirais 2 fois). L’expérience vous guidera.

Comment faire un Clarrey: Adaptation d’une recette spécifique

Même procédure mais basée sur la recette de Form of Curry pour les ‘Clarrey’

1. Canelle, 1 c.a.s.

2. Graine du paradis, 1 c.a.s.

3. Galingale, 2 c.a.s.

4. Poivre long, 1 c.a.s.

5. Mélanger avec 3 litres de vin blanc et deux tasses de miel.

Sources et inspiration

◊ The Form of Curie (1390)

◊ Le mesnagier de Paris (1395)

◊ Tournament illuminated #127: Hippocras by Lady Emma of Hambledon

◊ A sip through time by Cindy Renfrow

◊ The compleat anachronist # 60: Alcoholic drinks of the middle ages

◊ Dangerous Tastes, the story of spices by Andrew Dalby

◊ Discussion et échanges avec d’autres brasseurs et cuisiniers.

◊ Diverses sources discutables ou non de connaissances variés a.k.a. Internet